Lettre ouverte — Commémorer en 2020

DStatue John A. MacDonald déboulonnée

© Graham Hugues / La Presse canadienne

par —
Culture Montréal

Commémorer en 2020

(Cette lettre ouverte a été publiée dans l’édition du 7 décembre 2020 de La Presse)

À la suite du renversement de la statue de John A. Macdonald, en août dernier, la Ville de Montréal a fait part de son intention de créer un comité de réflexion et a également rappelé qu’elle préparait une politique de commémoration qui comprend notamment des œuvres d’art public, des pratiques de toponymie et de protection du patrimoine bâti.

Créée en 2017, la Commission permanente de l’art public de Culture Montréal vise à mieux faire connaître l’art public et est soucieuse d’en voir appréciées toutes les composantes : artistique, historique, mémorielle, politique, urbanistique, juridique.

La Commission s’est penchée sur les vagues de contestation qui se sont cristallisées fortement autour d’œuvres, statues et monuments anciens, jugés offensants en raison des personnages controversés qu’ils honorent.

À cet effet, la Commission a organisé un important forum public en octobre 2019, Entre raison et tension : l’art public à l’épreuve de la commémoration corrigée.

Quelques constats :

    • les personnages qui ont fait l’histoire ne sont pas un présent éternel et les perceptions dont ils sont l’objet changent ;
    • il faut documenter chaque monument en relation étroite avec le contexte de son apparition ;
    • et prendre en compte sa valeur artistique et d’intégration dans le lieu.

Face à une situation de controverse entourant un monument commémoratif, plusieurs stratégies sont possibles, mais la tendance générale est de supprimer le moins possible et de s’engager plutôt dans un travail de contextualisation, d’ajout d’interventions artistiques permanentes ou éphémères qui viendraient moduler la perception, et de médiation culturelle.

Par ailleurs, la suppression doit parfois être envisagée. À Montréal, Jeffery Amherst, militaire de renom, souhaitait éradiquer la population autochtone par la contamination bactériologique : « sa » rue s’appelle maintenant Atateken. À New York, le docteur J. Marion Simms, pionnier de la gynécologie, utilisa à plusieurs reprises des esclaves noires pour ses expérimentations et les opérait sans anesthésie : son monument fut retiré.

Quelques bonnes pratiques :

    • se donner du temps avant de commémorer, pour éviter d’agir simplement sous le coup de l’émotion ;
    • se doter de lignes directrices pour le traitement des monuments jugés incompatibles avec les valeurs présentes (aliénations, ajouts, retraits, droits d’auteur, etc.) ;
    • aménager des espaces de dialogue rejoignant des artistes, des citoyens et des experts ;
    • réaliser des projets artistiques liés aux monuments problématiques pour outiller la perception (expositions temporaires, performances, ajouts d’autres monuments, etc.).

Lors des nouvelles commandes en art public commémoratif, il faut :

    • d’abord, commencer à « désindividualiser » les monuments en commémorant la puissance d’un geste collectif, plutôt que des individus ;
    • comprendre que les sites d’implantation des monuments doivent être éthiquement choisis ;
    • discerner quelles sont les valeurs d’une société, pour mieux orienter les commandes et le choix des projets ;
    • veiller à favoriser la rencontre de l’artiste avec les autres porteurs de connaissance — historien, philosophe, architecte — dès les étapes initiales ;
    • impliquer les différents groupes de citoyens dans le processus.

Plusieurs questions se posent sur la place de l’histoire dans nos espaces publics. Les réponses devront naître d’une vision politique portée par le dialogue, la mise en commun d’idées fortes, responsables, ouvertes aux réalités présentes et audacieuses pour l’avenir et le partage de notre mémoire commune.


Louise D
éry, coprésidente de la Commission art public – Culture Montréal / commissaire, historienne de l’art et directrice – Galerie de l’UQAM
Sébastien Barangé, coprésident de la Commission art public – Culture Montréal / vice-président Relations publiques et responsabilité sociale – CGI

Membres de la Commission :
Analays Alvarez Hernandez, Valérie Beaulieu, Jean-Robert Choquet, Ève Dorais, Stanley Février, Youssef Fichtali, Marie-Blanche Fourcade, Sylvie Lacerte, François Le Moine, Francyne Lord, Maria Silina, Fanie Saint-Michel, Tamar Tembeck, Laurent Vernet et Louise Vigneault.