Retour — Causerie virtuelle : Autochtonie, diversités et relève

© JJ Ying (Unsplash)

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Culture Montréal

Autochtonie, diversités et relève : les oubliées de la crise ?

Depuis le début du processus de réflexion pour la relance des arts et de la culture au lendemain de la crise de la COVID-19, Culture Montréal s’interroge sur l’approche sectorielle de celle-ci. Certains enjeux transversaux fondamentaux passent ainsi inaperçus, alors qu’ils devraient être au cœur de la discussion sur l’avenir du secteur culturel.

La causerie « Autochtonie, diversités et relève : les oubliées de la crise ? » du 9 juin dernier visait mettre en lumière ces enjeux. Pour ce faire, notre directrice générale, Valérie Beaulieu, a reçu Odile Joannette, directrice générale du Wapikoni mobile, Gideon Arthur, directeur général de l’École Nationale de Théâtre, et Jérôme Pruneau, directeur général de Diversité artistique Montréal (DAM).

Voici les éléments clés qui sont ressortis des échanges.

 

Les voix des diversités

La crise sanitaire a fait ressortir les inégalités sociales, notamment celles auxquelles font face les artistes des diversités qui rencontrent des barrières systémiques tout au long de leur parcours. Pour Jérôme Pruneau et pour DAM, la situation actuelle est propice à l’ouverture d’un dialogue sur la transformation, une possibilité de renouveau. On doit, plus que jamais, prendre en considération les différents publics et se questionner sur la manière dont nos institutions et nos organisations peuvent profiter de la crise pour repenser leurs façons de fonctionner, mais aussi de réfléchir l’art et de transmettre la connaissance en art. C’est l’occasion d’ouvrir un gigantesque chantier autour de ces enjeux, d’examiner collectivement nos pratiques et d’opérer des transformations structurelles afin d’améliorer l’accès aux ressources pour les artistes et pour les publics.

Passer du discours à l’action

Les soulèvements et la mobilisation contre le racisme en réaction à l’assassinat de George Floyd font ressortir des enjeux bien réels, spécialement pour les communautés autochtones. La mobilisation permet d’exposer ces problématiques et de pousser les autorités à poser des gestes pour l’accessibilité. Odile Joanette constate que les démarches de réconciliation se sont multipliées dans les dernières années, mais qu’elles ont généré plus de paroles que d’actions. Trop souvent, les discours ne sont pas appuyés par des plans concrets, particulièrement en temps de pandémie.

En contrepartie, un organisme comme le Wapikoni travaille justement à rendre disponibles des espaces de création pour que les autochtones puissent produire un contenu culturel dans lequel ils se reconnaissent. Il faut aussi décoloniser la notion d’excellence qui guide les programmes et les politiques sans prendre en considération les barrières qui nuisent à l’accessibilité. Pour qu’un changement s’amorce, il faut reconnaître collectivement que les structures de gouvernance ne sont pas représentatives. Les Autochtones ont également besoin d’avoir confiance en ces structures pour vouloir y contribuer. Pour y arriver, celles-ci doivent être flexibles et adaptables, ce que beaucoup ne sont pas, notamment les établissements d’éducation.

Quel avenir pour la relève ?

Pour Gideon Arthur, à la tête de l’École Nationale de Théâtre, les artistes de l’avenir seront autochtones et issus des diversités puisque la transformation sociale attendue va se faire par la jeunesse. L’École agit en ce sens afin d’éliminer les barrières existantes, notamment en ce qui a trait à la définition de l’excellence, un enjeu par ailleurs amplifié par la crise sanitaire. Aujourd’hui, les jeunes doivent redéfinir le rôle de l’artiste dans la société et sa relation avec les transformations démographiques, sociales et écologiques. Le contexte de formation des artistes est en fluctuation constante, il est donc compréhensible que certains réfléchissent à changer de vocation, encore plus au temps de la COVID-19.

Il est légitime de s’inquiéter du sort de la relève dans les prochaines années puisque les grandes institutions qui font vivre le milieu en temps normal vont être en difficulté majeure. Quelles conditions attendent les jeunes artistes dans 18, 24 ou 36 mois ? Impossible de le prédire pour l’instant. Différentes initiatives sont mises en place par les institutions actuellement. Par exemple, le programme « Art à part » de l’École qui offre des microsubventions à des étudiants dans tout le pays pour la réalisation d’œuvres en ligne.

Par où commencer ?

Les discussions ont fait ressortir l’importance de décoloniser la notion d’excellence, trop ancrée dans des préjugés correspondant à la culture dominante, qui constitue un frein important d’accès aux programmes. Tant que les jurys et les structures ne seront pas représentatifs des diversités et évalueront les projets sans reconnaître les souverainetés narratives des autochtones ou des diversités, il sera impossible d’évaluer convenablement le travail de ces artistes. D’autres démarches peuvent être entreprises, par exemple, au niveau des auditions d’entrée dans les écoles, afin d’être plus inclusives. Dans le cadre du parcours académique, les étudiants bénéficient énormément de la présence d’un corps professoral diversifié qui leur donne confiance, leur permet de s’identifier et de voir leurs cultures reconnues.

Plus largement, les artistes et les créateurs ont besoin de programmes qui leur permettent d’expérimenter et de générer des idées.
Il est également important de créer des réseaux entre les artistes issus des diversités et les artistes autochtones afin qu’ils apprennent à se connaître et à partager leurs expériences.

Que doit-on éviter ?

Plusieurs producteurs, directeurs et organisations pourraient être tentés de mettre des vedettes sur les scènes avec le déconfinement afin d’attirer les publics. Au contraire, nous avons une occasion de réimaginer notre relation avec le public. Le milieu artistique doit miser sur sa pertinence pour tous les spectateurs. C’est le moment de mettre en place des protocoles pour que les artistes autochtones et des diversités soient diffusés.

Les petites salles alternatives sont menacées en raison de leur modèle de financement et la relance doit prévoir une enveloppe pour protéger ce type de lieux au risque de les voir disparaître complètement.
Pendant le confinement, les artistes ont démontré une grande résilience, entre autres, en se rapprochant de leur public par la voie numérique. Le retour en salle ne doit pas s’articuler autour du seul impératif de monétarisation.

Vers un retour « à la normale » ?

Finalement, tous s’entendaient pour dire que ce n’est pas un retour « à la normale » que nous devrons viser à l’occasion de la reprise du secteur culturel. Cette normale est une notion imaginaire, puisque la manière de consommer la culture était déjà en transformation bien avant l’arrivée de la pandémie. Il faudra donc être à l’écoute des publics et de l’ensemble des communautés afin de proposer une offre culturelle représentative et, ainsi, éviter que les artistes issus de l’autochtonie, des diversités et de la relève paient le prix fort de la crise.