Culture Montréal dépose un mémoire sur le projet de Politique de développement culturel 2025-2030 de Montréal

© C. Pomerleau – GRIDSPACE

par —
Culture Montréal

Culture Montréal a présenté 25 recommandations pour le projet de Politique de développement culturel 2025-2030 de Montréal. Le texte qui suit est une synthèse de l’allocution présentée lors de la séance d’audition des opinions du 12 novembre 2024.

La présentation de ce riche mémoire s’inscrit dans le cadre d’un processus de consultation assez remarquable se tenant d’autant plus dans un contexte difficile pour le milieu des arts et de la culture comme en témoignent l’ensemble des présentations ainsi que la lettre publiée par des présidences d’organismes demandant une bonification de 30M$ d’ici 2030 pour le Conseil des arts de Montréal.

Culture Montréal se préoccupe de l’écosystème culturel en adoptant une posture 360.  En effet, le rôle que la culture joue dans le développement de Montréal interpelle au premier chef le milieu artistique professionnel et les industries culturelles et créatives bien évidemment, ainsi que le patrimoine, l’histoire, la médiation culturelle, les musées, les bibliothèques, les Maisons de la culture, l’art public, le loisir culturel, la pratique artistique amateur, le design, ou encore, le tourisme culturel. Différentes parties prenantes font avancer ces composantes et chacune d’elles, en fonction des particularités des territoires et des contextes donnés, contribue à faire de Montréal, une métropole culturelle. Il y a donc un ensemble d’enjeux à considérer.

Bons coups

Nous sommes conscients que tout exercice de ce type apporte son lot de complexités, particulièrement dans un contexte financier difficile. Si la culture est effectivement le cœur de Montréal, comme tout le monde le clame, la future Politique doit montrer la voie et doit en être le porte-étendard sans équivoque.

Culture Montréal a été ravi de constater dans le Projet de Politique la reconnaissance du rôle de la culture face aux défis actuels et sa contribution au développement de Montréal, de ses quartiers et de son centre-ville. L’ancrage au niveau de l’équité et du développement territorial est également à souligner. Il s’agit là du cœur de notre mission. Cette reconnaissance doit par ailleurs être garante de conditions gagnantes permettant au milieu culturel de créer, produire et diffuser pour générer ces impacts et retombées.

Parmi les bons coups, nous sommes rassurés par l’affirmation du principe directeur sur la liberté d’expression artistique et intellectuelle. Soulignons également la gouvernance proposée avec des organisations autochtones ; l’intégration de la culture en amont dans la planification des grands projets (cette approche d’aménagement culturel du territoire est au cœur de notre mémoire déposé sur le projet de Plan d’urbanisme et de mobilité – PUM 2050), la volonté affirmée de la Ville d’être présente dans les réseaux internationaux, et, bien évidemment, l’engagement quant à la remise en place d’une instance de gouvernance de type Montréal, métropole culturelle.

Conditions de réussite

L’analyse du projet de Politique sur le développement culturel de la Ville révèle la nécessité de mettre en place certaines conditions de succès dans sa version finale afin de favoriser l’adhésion, la mobilisation et la concrétisation des impacts souhaités. D’abord, une politique de développement culturel d’une métropole repose généralement sur un équilibre entre trois grands piliers : la stimulation de l’accès et de la participation culturelle, c’est-à-dire les services aux citoyennes et citoyens, le développement territorial ainsi que le soutien au secteur culturel. Or, il nous apparait que ce dernier pilier se trouve particulièrement en retrait alors même que le milieu culturel traverse une crise profonde. La conciliation de ces trois niveaux d’intervention et l’équilibre entre eux nous apparait être un défi à relever et une opportunité pour la Ville d’affirmer encore plus l’importance d’avoir un secteur en santé pour être en mesure de réaliser avec succès la future Politique.

De plus, l’approche haut niveau et transversale adoptée donne plus de concision au projet et reflète une volonté d’efficacité. Néanmoins, il nous semble nécessaire d’y apporter plus de clarté pour nous permettre de mieux percevoir les résultats attendus et les futures priorités de la Ville. Bien qu’une feuille de route ait été annoncée pour l’adoption de la Politique, il est difficile de bien saisir les retombées attendues de la Ville dans le document actuel. Certains sujets, pourtant au cœur de toutes actions culturelles territoriales, tels que les grands pôles culturels, le tourisme culturel, ou encore, la concertation culturelle locale, apparaissent absents du présent projet de Politique. Il convient donc de préciser les objectifs et priorités d’action, afin de mieux envisager leur mise en œuvre et nous permettre de nous projeter, car il est actuellement difficile de percevoir l’ambition de la Ville pour sa métropole culturelle.

D’autre part, Nous prenons acte du contexte financier sous pression de la Ville. Cependant, il apparait primordial que cette politique quinquennale, rappelons-le, soit dotée adéquatement si la Ville est sérieuse sur les retombées attendues. Les attentes envers la culture sont grandes, nous partageons cette ambition. La Ville devra faire preuve d’un leadership affirmé pour donner les moyens à ses propres équipes, notamment le Service de la culture et les arrondissements, et à ses partenaires, d’en faire un succès ! Ce leadership devra également se faire auprès des paliers de gouvernement, de la société civile et du milieu des affaires ainsi qu’à l’intérieur de ses propres services interpellés.

Recommandations

Culture Montréal a toujours été force de proposition. Nous rappelons donc à la Ville qu’un processus déjà éprouvé à Toronto, et retenu par la Commission sur les finances et l’administration en 2023, pourrait diversifier ses revenus et rapporter 5M$ par année dédiée à la vitalité culturelle locale. En effet, nous préconisons depuis 2020 la mise en place d’une taxe spéciale sur les panneaux publicitaires géants, conçue comme une nouvelle modalité de financement de la culture[1]. Cette taxe s’inscrivant dans une perspective d’écofiscalité offrirait l’avantage d’ajouter de nouveaux moyens aux ressources déjà disponibles sans créer de préjudice fiscal pour les contribuables.

Assurément, il faut investir en culture si on souhaite générer un impact sur la société.

 

Culture Montréal a identifié un certain nombre de propositions pour la nouvelle Politique de développement culturel qui s’inscrivent dans les trois piliers mentionnés précédemment et qui composent une politique culturelle municipale :

1. Soutien au secteur culturel

Tout d’abord, la question du soutien au milieu qui s’incarne par le renforcement du budget du Conseil des arts de Montréal. Il s’agit d’une nécessité pour soutenir nos artistes dans un contexte post-pandémique de grande vulnérabilité et considérant l’explosion des coûts de création, production et diffusion. Ce soutien s’incarne également par la pérennisation des espaces de création. Avec l’augmentation des valeurs foncières et l’inflation qui frappe, l’accès à des locaux abordables est de plus en plus compromis. Ce qui a pour effet d’accélérer plus particulièrement l’exode des artistes qui sont de plus en plus nombreux à quitter l’île de Montréal.

C’est pour cette raison qu’il est essentiel de s’attaquer à la question centrale de la fiscalité et de mettre en place un taux de taxe foncière réduit pour les espaces de création. La question du soutien au milieu peut également se concrétiser par le leadership que peut exercer Montréal en s’engageant à adopter au Conseil municipal le Manifeste de Braga. Ce Manifeste permettrait de mettre en œuvre la Déclaration MONDIACULT 2022 en vue d’intégrer la culture comme un objectif à part entière dans l’agenda de développement durable post 2030. Cela faciliterait, par le fait même, l’intégration de la culture aux critères ESG, favorisant du même coup, une plus grande implication du milieu des affaires dans le soutien à la culture par le véhicule du don ou de la commandite.

2. Accès et participation à la culture

Le deuxième pilier aborde toute la question de la stimulation de l’accès à la culture et cela passe notamment par le renforcement des réseaux des bibliothèques et des Maisons de la culture qui sont les principales portes d’entrée vers les arts et la culture.

D’un côté, il y a des documents stratégiques importants à prendre en considération. En ce qui a trait aux bibliothèques, le Diagnostic des bibliothèques municipales de l’île de Montréal a permis d’entreprendre des réalisations importantes pour le réseau et il s’avère nécessaire de le mettre à jour vingt ans après, ne serait-ce que pour savoir si Montréal a rattrapé son retard considérable par rapport aux autres grandes villes canadiennes en ce qui concerne son taux de pénétration des bibliothèques. Pour les Maisons de la culture, c’est la Vision de développement 2022-2030 qui devait mener à la parution d’un plan d’action avec des cibles précises, mais qui ne semble pas pris en compte dans le projet de Politique.

De l’autre, il faut diversifier la participation culturelle en misant sur le déploiement des agentes et agents de liaison : leur mission étant de donner le goût à des publics divers, notamment les nouveaux arrivants, de fréquenter les bibliothèques et de participer à la vie culturelle de leur territoire. On ne compte que quatre personnes en poste actuellement, lesquelles réalisent un travail précieux. On se doit de généraliser leur présence sur tout le territoire.

Enfin, favoriser l’accès à la culture c’est aussi améliorer l’expérience de la sortie culturelle. Les enjeux de mobilité, de propreté et de cohabitation agissent de plus en plus comme des freins importants à la participation culturelle. La Ville peut jouer un rôle pour favoriser la sortie culturelle et aider les institutions qui sont aux prises avec ces enjeux.

3. Développement territorial

Le troisième pilier du développement territorial regroupe différents types d’enjeux à considérer. Par exemple, la question du maintien et de l’entretien des actifs, problématique majeure, encore plus dans le contexte d’explosion des coûts et de pression immobilière. Culture Montréal propose le déploiement d’un grand chantier sur la situation et les perspectives des infrastructures culturelles montréalaises. Le rapport qui émanerait de ce chantier permettrait d’identifier des solutions à réaliser à court terme par la Ville pour répondre précisément à ces enjeux.

Il s’agit également d’identifier un territoire stratégique comme l’Est de Montréal afin de contribuer à faire de la culture un moteur de développement. Par exemple, en misant sur la réalisation d’un projet de parcours culturel riverain ou en priorisant les projets sur le territoire à fort potentiel de développement comme le Quartier des arts du cirque et la revitalisation du Vieux-Pointe-aux-Trembles.

C’est enfin se réemparer de la question de l’histoire. Montréal est une grande ville d’histoire à l’échelle nord-américaine. En effet, l’intérêt pour l’histoire se manifeste autant chez les citoyennes et citoyens que chez les touristes. Par conséquent, Montréal doit se doter d’une stratégie à long terme axée sur la connaissance et la mise en valeur de l’histoire de Montréal. Les prochaines années seront marquées par une séquence de commémoration d’événements qui ont marqué la métropole et qu’il convient de planifier. Par exemple, en 2026, se tiendra le 325e anniversaire de la Grande Paix de Montréal, ou encore, le 50e anniversaire des Jeux olympiques de Montréal.  2042 soulignera quant à elle le 400e de Montréal.

Rôle de Culture Montréal en tant que partenaire

Pour terminer, nous souhaitons réitérer que la Ville peut compter sur Culture Montréal comme partenaire de premier plan dans la mise en œuvre de sa Politique. Plusieurs orientations et objectifs font écho à de nombreux éléments de notre planification stratégique 2024-2029. Notre rôle de porte-voix et de laboratoire d’idées en politiques publiques ainsi que notre expertise en concertation nous permettent de jouer un rôle de locomotive. Surtout, nous visons la même chose, soit renforcer Montréal comme métropole culturelle à l’échelle du territoire et à l’international. L’engagement sur ce point est crucial pour construire une vision commune pour le futur de la métropole culturelle.

Il est donc primordial que le processus qui sera mis en place soit à l’abri des aléas politiques tout palier confondu. Pour ce faire, la société civile devra être présente. Elle est prête à jouer son rôle, en témoigne le Forum stratégique sur les arts vivants et la culture de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), tenu le 28 octobre dernier et ayant réuni 800 personnes.

Culture Montréal répond présent.

Nous sommes à un moment crucial pour la métropole. Cette Politique s’inscrit dans un contexte particulier et jettera les bases, pour les dix à quinze prochaines années, du développement culturel de Montréal dans un contexte où d’autres villes dans le monde investissent dans la culture pour se démarquer, tout comme d’autres régions limitrophes. Nous devons donc prendre de la hauteur et bien saisir ce qui est en jeu. Bien sûr, le développement culturel en soi est à risque, les témoignages en font état. Mais la présence et la mobilisation du milieu culturel, artistes et organisations issues d’autres secteurs telles que la CCMM, l’Association des sociétés de développement commercial, le Conseil régional de l’environnement de Montréal, démontre une volonté partagée de soutenir le développement culturel de la Ville de Montréal.

 


[1] Danielle Pilette et Jean-François Payette, « Les panneaux publicitaires géants à Montréal | Régie et territoires, exemple de Toronto et perspectives de compensations financières à des fins spécifiquement culturelles », 2020.